La Pelouse, une création seigneuriale et royale
Le nom de Montgeron apparaît pour la première fois, en 1147, dans un parchemin de l’abbaye de Saint-Maur qui mentionne la possession d’une vigne, au « mons Gisonis ». Mais la référence au domaine seigneurial n’apparaît pas avant son achat en 1510 par Dreu Budé.
La Maison des Budé, établie à Paris sous le règne de Charles V, est une famille de grands bourgeois. Possesseurs d’offices royaux, ils se distinguent dans le domaine de la magistrature, des sciences et de la diplomatie. Guillaume Budé, Ier du nom est mentionné dans un registre de la chambre des comptes de Paris de l’an 1340. Son fils aîné, Jean Ier, notaire et secrétaire du roi Charles VI, contrôleur de la chancellerie, reçoit ses lettres d’anoblissement, datées de Maubuisson, près de Pontoise, en septembre 1399.
Dès lors la famille de Budé poursuit son ascension sociale Le fils de Jean, Dreu Ier né vers 1399, assuré de la bienveillance de Charles VII, achète, dans les dernières années de la guerre de Cent ans, comme d’autres membres de la noblesse de robe pourvus d’offices rentables, des terres que leurs possesseurs ruinés par la guerre revendent à bon compte. Seigneur d’Evry, de Brégy, de Bretoche, de la Motte-Saint-Merry, de Sarçay, de Trancy, de Mandres, de Bellegrand, de Gentilly et de Villiers-sur-Marne, il acquiert la seigneurerie d’Yerres en 1452, vendue par son propriétaire, Louis de Châtillon, pour 800 écus d’or. Il ajoute Grigny en l’Ile de France en 1445, Marly-la-Ville en 1463.
Guillaume, frère de Dreu II, petit-fils de Dreu Ier, né en 1467, s’illustre dans le domaine des Lettres : il devient bibliothécaire de François Ier. Sa réputation d’helléniste lui vaut d’être le fondateur du Collège de France.
Les Budé, très proches du pouvoir royal pendant pratiquement un siècle, travaillent à asseoir leur position. Ils cultivent les alliances avec des familles importantes de la noblesse de robe et poursuivent la politique d’acquisitions et de regroupements de terres inaugurée par les fondateurs de leur maison. Dreu II, notaire, secrétaire du Roi, trésorier des chartes et grand audiancier de France, achète en 1510 la seigneurerie de Montgeron.
Dreu Budé fait construire un château sur le domaine de Montgeron dont on ne sait pas grand chose, sauf que la famille des Carré, propriétaire sous Louis XIV et Louis XV, le détruit pour édifier un nouveau château à la Mansart. De 1521 à 1526, Dreu Budé poursuit l’achat de quantité de terres, bois et prés à Yerres, et constitue ainsi un très important domaine.
Mais malgré leurs efforts, les Budé ne parviennent pas à se maintenir parmi les puissants. Le grand nombre d’enfants qu’élève chaque génération et les partages incessants qui en découlent, en sont probablement la cause. Jean II, fils de Dreu Ier est père de huit garçons et de sept filles. Son fils aîné, Dreu II a dix enfants. Jean III, à la mort de Dreu II, devient seigneur d’Yerres, Bagnaux et Villiers, tandis que Louis L’Aîné, le cinquième fils, reçoit en partage le domaine de Montgeron. Il le transmet à son tour à son second fils Annibal. Ce dernier le vend finalement en 1604 au chancelier Nicolas Brûlart de Sillery, un autre grand commis de la monarchie.
Les Sillery, seigneurs de Montgeron de 1624 à 1642
Issu d’une famille de magistrats originaire de Champagne, Nicolas Brûlart de Sillery, né en 1554, est conseiller puis Président à mortier au Parlement de Paris à partir de 1597. Il mène en parallèle une carrière diplomatique : vieux serviteur de la couronne, il occupe la fonction de chancelier du royaume pendant plus de quinze ans. Choisi par Henri IV, gardé par Marie de Médicis, écarté par le maréchal d’Ancre, rappelé par Luynes, il mène une carrière effacée dominée par le favori de Louis XIII. Sillery est un homme d’expérience, écrivant bien et beaucoup, doux, facile, insinuant. Un contemporain le dépeint en quelques traits précis : « il écoute paisiblement, répond doucement, prend hardiment et donne du galimatias longuement ».
Il obtient pour son fils, Pierre, vicomte de Puisieux, né vers 1583, la fonction de secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères. Celui-ci garde ce poste de 1617 à 1626. Il vit à la Cour. En prenant de l’âge et de la pratique, il sait se rendre utile au duc de Luynes : il connaît bien les affaires étrangères, sait parler aux ambassadeurs, sait surtout les écouter et les renvoyer avec de bonnes paroles.
Occupés de leur carrière politique, toute leur énergie tournée ailleurs, les Sillery, père et fils, se bornent à utiliser le domaine de Montgeron, sans entreprendre de transformations notoires. Les deux hommes amassent une grande fortune, contractent des alliances utiles. Mais ils ne sont pas de taille à lutter contre l’influence grandissante de Richelieu. Le 3 février 1624, Louis XIII leur demande de se retirer dans leur terre de Champagne. Le père ne survit pas longtemps à sa disgrâce, le fils rejoint ses terres de Montgeron, et prend goût aux charmes de la campagne. Il meurt en 1640. Son fils, Louis-Roger Brûlart, marquis de Sillery cède la seigneurie à Guy Carré en 1642.
La famille Carré édifie un château à la Mansart et trace une Allée du Château en forme de trident
Les Carré, famille de magistrats parisiens et d’intendants de province, succèdent aux Brûlart en 1642. Dès 1644, Guy Carré, Secrétaire du Roi, achète aux religieuses de Saint-Antoine des Champs le fief de Chalandray, qui dès lors fait partie intégrante du domaine de Montgeron.
C’est probablement vers 1660 qu’est édifié le vaste château en grès, aujourd’hui disparu, plus imposant que l’ancien manoir des Budé.
Guy II Carré entreprend vers 1700, à l’imitation du modèle versaillais, d’ouvrir trois avenues à partir de la cour d’honneur. Aujourd’hui, seule subsiste la « Pelouse », qui formait la branche centrale de ce trident. Elle était considérée comme « la plus belle avenue qui se puisse voir dans les environs de Paris ». La grille de l’entrée d’honneur du château est encore en place. Elle fait face à l’avenue de la Grange, dite « La Pelouse », allée engazonnée et plantée d’arbres d’alignement que prolonge la route forestière du Château. Ces aménagements sont entrepris entre 1642 et 1676, à l’époque où les académiciens des sciences reçoivent la mission d’établir une cartographie précise de la France : L’Allée du château apparaît clairement sur leurs relevés.
Sous Louis XV et Louis XVI, l’Avenue du Château devient une Avenue royale
Elle relie le château à la forêt. Louis XV et Louis XVI décident de faire de ce domaine réputé l’un des points de départs des chasses royales en forêt de Sénart. Le chenil de la grande meute est établi à côté de la ferme du château, dont on voit encore le pigeonnier.
La patte d’oie est devenue aujourd’hui la place de l’Europe, mais la grille d’entrée d’honneur, disposée dans l’axe de la façade sud-est de l’ancien château, est encore en place. Elle fait face à l’avenue de La Grange, encore dite « La Pelouse », allée engazonnée et plantée d’arbres d’alignement que prolonge la route forestière du Château.
Au XVIIIe siècle, le château s’embellit d’un parc à la française
Pendant cette période le parc à la française atteint son plus beau développement sous l’impulsion de ses propriétaires successifs.
Les Parat de Vareilles, de 1732 à 1752, puissants financiers, aménagent des terrasses et creusent les « douves » décoratives, encore visibles aujourd’hui.
Michel Henry Fabus, « écuyer, conseiller-secrétaire du roi, maison,couronne de France et de ses finances, receveur général des domaines et bois de la généralité de Paris et trésorier général des Invalides », entre en possession de la seigneurie en 1753. Il en reste propriétaire jusqu’en 1768, date à laquelle les Syndics de la direction de ses créanciers l’obligent à vendre pour payer ses dettes. Dans l’intervalle il installe des bosquets ornés de sculptures, des parterres de gazon, coupés de banquettes de charmilles, le grand canal et les bassins du potager. Ces aménagements font des jardins de Montgeron, selon l’abbé Goudemetz, « l’un des plus délicieux séjours qu’il y ait aux environs de Paris ».
Le marquis de Boulainvilliers poursuit ces travaux d’embellissement de 1768 à 1791.
A la suite des saisies des biens de Michel Henry Fabus entre 1762 et 1764, Montgeron est adjugé, en 1767-1768, à Anne Gabriel Henry Bernard, marquis de Boulainvilliers. Fils de Gabriel Bernard de Rieux, seigneur de Passy, le marquis de Boulainvilliers est le petit-fils du financier Samuel Bernard. Conseiller du roi en tous ses conseils, il est également président honoraire au Parlement, prévôt de la Ville, Prévôté et Vicomté de Paris.
J.A. Dulaure écrit à propos de Montgeron dans sa Nouvelle description des environs de Paris, qu’il dédie au roi de Suède : « Le château, par son heureuse situation, jouit d’une vue très étendue et très agréable. On y arrive par des avenues doubles, formant patte d’oie; la façade qu’il présente est décore de beaucoup d’ornements ».
En 1791, le marquis de Boulainvilliers cède le domaine au financier François-Alexandre Page
D’autres propriétaires lui succèdent en 1818, 1825 et 1828. Le château seigneurial est détruit sous le règne de Louis-Philippe, en vue de l’édification d’une nouvelle demeure. Mais l’Avenue du Château traverse les tourmentes de l’époque sans rien perdre de l’élégance de sa perspective.